Une enquête réveille les démons du temps des colonels.
Un nouveau chef-d’œuvre de Caryl Férey.
Mapuche, de Caryl Férey, éd. Gallimard, coll. « Série noire », 19,90 € , 455 pages.
Caryl Férey est la grande révélation du roman
noir de la décennie. Si Zulu avait soulevé l’admiration, avec
Mapuche, un roman bouleversant, il atteint au chef-d’œuvre. Le
récit est mené avec une virtuosité exemplaire. Suspense, action,
agencement des diverses étapes de la narration, imbrication savante
des points de vue, rien n’est laissé au hasard, et rarement
pareille harmonie stylistique a été mise au service d’une
histoire dont la violence, celle du monde extérieur comme celle
nichée au cœur des protagonistes, bons comme salauds, n’apparaît
jamais comme gratuite. Mais pareilles qualités pourraient servir une
œuvre purement gratuite dont elles seraient à la fois l’objet et
le sujet. Or, dans le récit de Férey, elles sont au service d’un
récit effroyable, certes, mais pas plus que les faits qu’il entend
dénoncer.
Trente ans après le rétablissement de la
démocratie, les plaies de la société argentine restent béantes.
Celles de Jana, l’Indienne mapuche, fille d’un peuple persécuté,
des mères de la place de Mai qui ne désarment pas, de Ruben,
rescapé des geôles de l’école de mécanique de la Marine où son
père et sa sœur ont trouvé la mort sous les tortures infligées
par les fascistes entraînés par des spécialistes français.
L’exécution d’un travesti puis l’enlèvement d’une
photographe issue d’une famille de l’oligarchie financière qui
contrôle toujours la vie du pays vont le jeter au cœur d’une
affaire sordide où tous les vieux démons de la période des
colonels remontent à la surface. Avec un talent rare, Férey brosse
un tableau hallucinant d’un pays en proie à sa propre histoire, où
quelques irréductibles tentent, non sans succès, de faire tomber
définitivement le rideau sur les spectres de la barbarie et de
ressusciter l’espoir. Une entreprise salutaire.
R. M.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
17
05 13
Argentine
l'ex-dictateur Jorge Videla est mort
L'ancien dictateur
argentin et idéologue du terrorisme d'Etat avec le plan Condor,
Jorge Videla, est mort vendredi matin à l'âge de 87 ans, selon
plusieurs chaînes de télévision.
Condamné à la prison à perpétuité pour la
répression sanglante durant sa présidence (1976-1981), l'ancien
général était incarcéré dans une prison près de Buenos Aires.
Il est mort dans un hôpital de Buenos Aires où il avait été admis
en urgence. Retour sur le destin de cet organisateur zélé du plan
Condor qu'il a méticuleusement appliqué, à travers le récit des
trois procès historiques qui l'ont fait tomber.
- 24 décembre 2010. Videla enfin
condamné
En quelques secondes, et finalement pour
toujours, les corps de 31 desaparecidos de la dictature Argentine
(1976-1983) ont réapparu. En prononçant la sentence de prison à
vie contre Jorge Videla, l’ex-général de la première junte
militaire, le tribunal fédéral de Cordoba (centre) a balayé,
mercredi, plus de trente ans d’impunité. Dans le box des accusés,
à côté de l’idéologue du terrorisme d’État, désormais âgé
de quatre-vingt-cinq ans, 29 autres officiels du régime devaient
répondre des chefs d’inculpation de meurtres, tortures et
enlèvements. L’ex-général Luciano Menendez a lui aussi écopé
de la perpétuité pour crimes de lèse-humanité.
Une peine enterrée par deux fois
Jusqu’à présent, Videla s’est vautré dans
la bienveillance politique dont il a pu jouir. En 1985, il avait déjà
été condamné à la perpétuité, lors du retentissant procès de 9
militaires de la junte, impulsé sous la présidence de Raul
Alfonsin, soucieux de solder les années de plomb qui ont fait près
de 30 000 disparus, torturés ou jetés vivants depuis « les vols
de la mort ». Une peine aussitôt enterrée par deux lois – «
devoir d’obéissance » et « punto final »– dictées, en 1986
et 1987, sous la pression des hauts gradés. À ces symboles du déni
de vérité et de justice des crimes de la dictature, l’ex-chef
d’État Carlos Menem y apposera, en 1990, la grâce présidentielle.
Ce n’est qu’en 2007 que cette dernière sera déclarée
anticonstitutionnelle par la Cour suprême à la suite de
l’abrogation, deux ans plus tôt, des lois d’amnistie. Jorge
Videla avait néanmoins été placé en arrêt domiciliaire depuis
1998 avant d’être transféré dans une prison militaire en 2008
pour deux autres sinistres affaires: le « butin de guerre », ces
bébés volés à des opposantes, par la suite tuées, que l’on
offrait à des familles de confiance du régime, ou encore pour sa
participation au plan Condor, une multinationale du crime dirigée
par les dictateurs de l’époque (Chili, Bolivie, Brésil, Uruguay,
Paraguay) afin d’exterminer les « subversifs » de l’Amérique,
avec la coopération de la CIA.
Videla justifie tout
Durant le procès de Cordoba, Videla a tout
justifié, assumant « pleinement (ses) responsabilités ». « Mes
subordonnés se sont contentés d’obéir à des ordres », a-t-il
affirmé. À l’image de l’ex-dictateur uruguayen Gregorio
Alvarez, qui a nié l’existence de violations de droits de l’homme
dans son pays, le bourreau argentin a affiché un mépris insondable,
en légitimant ses actes. « Je ne veux pas parler de sale guerre,
a-t-il osé. Je préfère parler d’une guerre juste qui n’est pas
encore finie. » Défendant sa barbarie, au nom de « l’honneur de
la victoire dans la guerre contre la subversion marxiste », Videla
s’est même payé le luxe de renier le tribunal qui, d’après
lui, « manque de compétence et de juridiction pour (le) juger »,
au prétexte de son rang et « des faits de guerre » reprochés.
À
l’annonce du verdict, les familles des victimes et les
organisations des droits de l’homme ont laissé exploser leur joie,
atténuant ainsi l’onde de choc des propos tenus la veille par le
chef de la junte. « C’est une avancée très importante en
matière de droit à la vérité et à la justice, s’est félicité
le prix Nobel de la paix argentin, Adolfo Perez Esquivel. Enfin un
pouvoir judiciaire et la décision politique d’avancer dans ces
procès établiront qui sont les responsables de ces crimes contre le
peuple afin que cela ne se reproduise plus. »
Mardi, à Buenos Aires, la capitale, et à Mar
del Plata (est), 19 responsables de crimes similaires ont fait
l’objet d’une lourde condamnation. En 2010, 14 procès de cette
nature ont conduit derrière les barreaux 66 auteurs de crimes tandis
que 800 autres n’ont pas encore été jugés. Si l’Argentine fait
figure de pionnière en Amérique latine en matière de lutte contre
l’impunité, le travail de réparation n’est pas pour autant
achevé. L’Association des mères de la place de Mai, toujours à
la recherche de leurs enfants et petits-enfants disparus, appelait
hier soir, à la suite de la traditionnelle marche qu’elles
réalisent depuis trente-trois ans sur la place de Mayo, au procès «
éthique et politique des violeurs de la parole de Jésus ». «
Durant la dictature, des curés et des évêques ont légitimé le
génocide, en bénissant les tortionnaires, en présidant des séances
de tortures (…). Nombre d’entre eux sont toujours membres de
l’Église », rappellent ces mères courages que le régime
dictatorial traitait de « folles ».
- 28 février 2011. Videla et
le procès des bébés volés
Un procès historique sur le vol de bébés sous
la dictature argentine (1976-1983), s'ouvre à Buenos Aires à partir
de ce lundi, qui ravive la mémoire du centre d'extermination de
l'Esma.
"Les disparues, les fers aux pieds,
accouchaient encagoulées : elles ne pouvaient voir le visage de
leurs bébés", dit Carlos Munoz, un survivant de l'Ecole de
Mécanique de la Marine (Esma). Le vol de bébés est jugé pour la
première fois en Argentine en tant que "plan systématique"
conçu en haut lieu. L'Esma, centre de torture emblématique dans
lequel fonctionnait une maternité, était une pièce maîtresse de
ce plan. Munoz, 53 ans, et Victor Basterra, 66 ans, un autre
ex-disparu qui travaille comme lui au musée de la mémoire de
l'Esma, ouvrent les portes du sinistre Mess des Officiers. C'est par
ici qu'ils sont arrivés, cagoulés, il y a 35 ans, pour être
torturés. Ils sont réconfortés de voir enfin débuter ce procès.
Deux anciens dictateurs, Jorge Videla (photo) et
Reynaldo Bignone, sont sur les bancs des accusés aux côtés de six
autres militaires: Santiago Omar Riveros, Rubén Oscar Franco,
Antonio Vanek, Jorge Luis Magnacco, Juan Antonio Azic et Jorge
"Tigre" Acosta. Acosta était le chef d'Alfredo Astiz,
"l'Ange Blond de la Mort", un autre officier de marine jugé
en ce moment pour l'enlèvement et le meurtre de deux religieuses
françaises, Alice Domon et Léonie Duquet. Les huit militaires
doivent répondre de 34 cas d'enlèvement et changement d'identité
de mineurs de dix ans.
500 bébés au total ont été
volés, la plupart à l'Esma
La maternité était au premier étage de l'Esma,
où se trouve le couloir que les bourreaux appelaient cyniquement "
L'Avenue du Bonheur " car il menait aux salles de torture. "
Les femmes enceintes étaient tenues dans l'une des petites pièces
de " Capucha " (" Cagoule "), poursuit Munoz. "
Très peu d'entre elles ont pu voir le visage de leur bébé ",
dit-il. Les disparus avaient appelé ces pièces " Cagoule "
et " Petite Cagoule " (" Capuchita "), l'une
étant plus petite que l'autre. A tout moment, ils pouvaient être
torturés de nouveau, toujours cagoulés. De temps en temps, ils
entendaient des cris : une prisonière venait d'accoucher. Le plus
souvent le bébé était remis à un militaire ou à un proche d'un
militaire, tandis que sa mère était peu de temps après jetée à
la mer, nue et vivante, d'un avion militaire en plein vol.
"Ma
femme, ils l'ont enlevée avec ma fille âgée de deux mois",
dit Basterra. Dans leur malheur, Basterra et Munoz ont eu de la
chance : leurs femmes et leurs filles ont été libérées quelques
jours après leurs arrestations. D'autres bébés ont été moins
chanceux : quelque 500 au total ont été volés, la plupart à
l'Esma. Seuls 102 ont à ce jour retrouvé leur identité grâce aux
recherches effectuées sans relâche par les Grands Mères de la
Place de Mai. Parmi ceux qui ont pu retrouver leur identité,
plusieurs sont engagés dans la politique et la défense des droits
de l'Homme. Comme Victoria Donda, 34 ans, devenue députée, qui a
publié l'année dernière un livre : "Moi, Victoria, enfant
volée de la dictature argentine".
De nombreux témoignages permettront de
comprendre comment les bébés étaient volés dans les maternités
clandestines et surtout dans la plus connue d'entre elles : celle de
l'Esma. Quelque 5.000 personnes ont été détenues et torturées à
l'Esma, dont à peine une centaine a survécu. En tout, environ
30.000 personnes ont été tuées pendant la dictature argentine,
selon les organisations des droits de l'Homme.
- 12 juin 2012. Le procès du
plan Condor et les liens avec les patrons
Buenos Aires,
correspondance. L’ex-chef de la junte
militaire argentine responsable du coup d’État du 24 mars 1976,
Rafael Videla, affronte un nouveau procès s’ajoutant à ceux qui
l’ont condamné à la prison à perpétuité. Il s’agit cette
fois-ci de sa participation à l’opération Condor, à laquelle
collaboraient dans les années 1970 les régimes militaires
d’Amérique du Sud. L’Argentine a décidé d’affronter son
passé. Sous la présidence de Nestor Kirchner, les lois de « point
final » et « obéissance due », suivies des grâces accordées aux
tortionnaires par le président Carlos Menem, ont été abolies et
les coupables traduits en justice. Depuis 2003, 843 cas ont été
instruits. 269 auteurs d’atrocités, telles qu’assassinats,
disparitions, viols et appropriations de bébés durant la dictature
qui, entre 1976 et 1982, s’est rendue coupable de 30 000
disparitions, ont été condamnés. Rafael Videla, Jorge Acosta et
Alfredo Astiz, auteurs des assassinats des religieuses françaises
Léonie Duquet et Alice Domont et figures centrales des exactions
commises à l’Esma, l’École de mécanique de la marine,
accomplissent leur condamnation à perpétuité dans l’attente de
comparaître devant d’autres tribunaux. En 2011, 94 civils et
ex-militaires ont été condamnés, dont 69 pour la première fois.
Liste noir des syndicalistes
Fait nouveau: une instruction est ouverte contre
un chef d’entreprise, dévoilant la complicité ayant existé entre
militaires et membres du secteur économico-financier durant la
dictature, fait reconnu par Videla : ce dernier a précisé, lors
d’un entretien paru dans un livre, que les grands patrons avaient
alors exigé la disparition de quelque 7 000 à 8 000 dirigeants
syndicaux et estudiantins. Carlos Blaquier, gérant d’une
entreprise sucrière, est aujourd’hui poursuivi pour son rôle dans
l’opération connue comme « Nuit de la coupure de courant », dans
la province de Jujuy en 1976 ; il avait prêté aux militaires les
camions et les contremaîtres de l’entreprise pour l’arrestation
de près de 200 « subversifs », dont 30 disparaîtraient.
Fin des procès en 2015
On savait qu’en Argentine le grand patronat
avait dressé des listes de syndicalistes à éliminer. Le procès
Blaquier devrait permettre de lever le voile sur un épisode que la
grande presse liée aux milieux économiques et financiers, les
militaires avaient occulté. Les organismes de défense des droits de
l’homme exigent que le ministre des Finances de la dictature et
père du modèle économique qui mena le pays à l’abîme à la fin
des années 1990, José Alfredo Martinez de Hoz, réponde de ses
actes devant la justice. La présidente Cristina Fernandez, alors que
les lenteurs persistent – nombre de fonctionnaires ont exercé
durant la dictature –, a émis le souhait que les procès soient
terminés à la fin de son mandat, en 2015.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
17 05 13
Moi, Victoria Donda, bébé volé sous Videla
La mort de
l'ex-dictateur argentin et organisateur zélé du plan Condor Jorge
Videla n'efface pas l'horreur des années de plomb connue par le pays
de 1976 à 1983. Victoria Donda, députée argentine de trente-trois
ans,
n’a pas connu
es années noires
de la dictature
et
le vol des bébés enlevés à leurs mères emprisonnées. Jusqu’à
ce qu’elle devienne, il y a huit ans, le 78e enfant de disparus à
être retrouvé. Entretien
Analia découvre à l’âge de
vingt-sept ans qu’elle est un bébé volé de la dictature
argentine.
C’est votre oncle qui a dénoncé
et programmé
les assassinats de votre père, son frère, et de votre mère,
militants de gauche. C’est lui encore qui vous a confié à une
famille proche du régime, et qui a élevé votre sœur, Daniela… À
la lecture de votre ouvrage, on est frappé par l’horreur de votre
histoire. Comment Victoria le vit-elle ?
Victoria Donda.
(Hésitations). L’être humain a une capacité énorme à
tolérer dès lors qu’il n’est pas seul. Adolfo – je n’aime
pas l’appeler mon oncle – a dénoncé mon père. Il était
présent lorsque l’on torturait ma mère qui était enceinte de
moi. Il a agi ainsi parce qu’il était partie intégrante d’un
projet politique. Ma mère en revendiquait un autre. Ma lecture
consiste à comprendre qu’un collectif a souffert parce qu’un
autre a joué avec la condition humaine au nom d’objectifs
politiques. C’est pourquoi il est très important de
contextualiser. Sinon, on ne comprendrait pas comment le berceau de
la Révolution française de la liberté, l’égalité et la
fraternité, a engendré des colonies sanguinaires en Afrique. On ne
comprendrait pas que les forces armées françaises ont massacré en
Algérie, et ont ensuite enseigné la torture aux forces armées
argentines. Les sociétés française et argentine sont distinctes
mais elles se connectent sur le modèle économique.
« Il ne s’agissait
pas pour moi d’être deux femmes à la fois, mais de faire en sorte
qu’Analia et Victoria vivent paisiblement dans un même corps»,
écrivez-vous…
Victoria Donda.
Je ne suis pas une bête mythologique à deux têtes. Je construis au
quotidien mon identité et ce, depuis mon enfance, parce qu’on m’en
a laissé la liberté. Ce tout est partie intégrante de mon combat.
C’est aussi la reconnaissance de celui de mes parents.
L’écriture de cette autobiographie a- t-elle constitué une sorte de thérapie ?
Victoria Donda.
Non! En 2005, après un entretien accordé à un journal, tout le
monde parlait de mon histoire comme si elle était unique. Et cela
m’a dérangé. Mon histoire fait partie de l’histoire d’un
peuple. J’ai voulu la raconter mais dans le contexte argentin. J’ai
voulu parler du néolibéralisme, de ces femmes et de ces hommes qui
ont barré les routes du pays, les Piqueteros, de ces organisations
sociales qui ont pallié l’absence d’un État. Mes parents n’ont
rien à voir avec mon militantisme. J’avais quinze jours lorsqu’ils
m’ont séparé du sein de ma mère. Je m’en tiens au lieu dans
lequel je vis, et je lutte. Cela correspond à ma manière de voir le
monde. Il y a ceux qui ont la capacité de détourner les yeux et
dire qu’ils n’ont rien vu. Certains dépriment, en se disant que
ce monde ne sert à rien. Et d’autres disent qu’ils veulent le
changer. J’en suis. Bertolt Brecht a dit : « Il y a des hommes qui
luttent un jour et qui sont bons. Il y en a d’autres qui luttent un
an et sont meilleurs. Il y en a qui luttent pendant des années et
sont excellents. Et puis il y ceux qui luttent toute leur vie,
ceux-là sont indispensables. » Mes « vieux » ont été des
indispensables. Je souhaite l’être aussi mais parce que j’en ai
décidé ainsi.
Pourquoi, en 2010, les poursuites judiciaires contre les criminels des dictatures sont-elles encore entravées ?
Victoria Donda.
En Argentine, a prévalu la théorie des deux démons qui reposait
sur l’idée qu’un commandement armé en combattait un autre. Puis
nous nous sommes réconciliés. Dans une vraie démocratie, le
contexte aurait dû être analysé: il y a eu un État terroriste
dirigé par des militaires mais également des civils qui faisaient
partie du pouvoir économique et politique, appuyé par l’Église.
L’objectif de la dictature n’était pas d’assassiner 30 000
personnes mais bel et bien un projet économique. Si, dans les années
soixante-dix, il n’avait pas existé des organisations politiques
opposées au néolibéralisme, il n’y aurait pas eu de dictature.
Néanmoins en matière de procès, l’Argentine fait figure d’exemple sur le continent.
Victoria Donda.
C’est un orgueil. L’Argentine démontre que la justice n’est
pas négociable. On ne transige pas avec l’impunité. Certains
avaient proposé de tenir des procès dits de la Vérité où les
militaires se contenteraient de reconnaître leurs crimes. Sans plus.
Mais le peuple argentin s’y est opposé. Nous vivons une situation
bien meilleure qu’en 2003, après l’annulation des lois de point
final (lois d’impunité). Même si lorsque je suis arrivée à la
Chambre des députés, je me suis retrouvée face à des élus qui
avaient été fonctionnaires lors de la dictature. C’est très
difficile. Mais la politique implique un niveau d’exposition, et
une capacité de tolérance. Ce qui est sûr, en revanche, c’est
que chacun sait de quel côté il se trouve.
Que pense l’élue et militante de gauche que vous êtes, des transformations politiques à l’œuvre sur le continent ?
Victoria Donda.
L’Amérique latine n’a jamais connu meilleures conditions pour
construire la souveraineté. C’est le trait commun aux projets
politiques des différents pays. Certains sont plus en avance que
d’autres en matière de distribution des richesses, et de
démocratie. Mais il reste entendu dans tous ces pays, à l’exception
de la Colombie ou du Pérou, qu’il est impossible d’avancer en
dehors du bloc latino-américain. Nos économies, si l’on excepte
la compétition que se livrent l’Argentine et le Brésil, sont
complémentaires. Ce bloc unitaire et puissant n’a pas encore vu le
jour à cause des intérêts et des antagonismes locaux. Quel intérêt
le Chili avait-il de signer un traité de libre-échange avec les
États-Unis ? La Concertation (coalition de centre gauche) a perdu
les élections après la défection de l’appui populaire. La droite
comme une partie de la gauche sont au pied du mur lorsqu’elles
abandonnent certains principes comme la souveraineté..
0 commenti:
Posta un commento
"Rifiutare di avere opinioni è un modo per non averle. Non è vero?" Luigi Pirandello (1867-1936)